14/01/2014
Quand Gourmandise rime avec Générosité.
A la tête de la brigade de pâtisserie du Bristol depuis 2007, Laurent Jeannin aime à rappeler en toute modestie que, si ce sont les hasards de la vie qui l’ont menés au Bristol, il s’est ensuite totalement épanoui et construit dans ce palace parisien qui lui permet de travailler toute la palette du métier de pâtissier depuis le petit déjeuner jusqu’au dîner en passant par les demandes particulières, voire extravagantes, propres aux clients de l’Hôtellerie de Luxe.
C’est avec grand plaisir que nous sommes allés à la rencontre de cet homme heureux qui transmet son expérience et sa passion avec une simplicité et une gentillesse toute particulières.
Laurent Jeannin aime la vie et elle le lui rend bien, il affirme lui-même être un homme comblé et son enthousiasme est sans limite quand il s’agit d’évoquer son métier qu’il ne conçoit que dans le but d’apporter du plaisir aux autres. Son regard s’illumine lorsqu’il évoque les matières nobles qu’il travaille et on ressent une réelle émotion dans ses propos.
Une belle philosophie de vie pour cet exhausteur des saveurs qui place les rapports humains au centre de ses préoccupations, ce qui semble être une vraie gageure dans le monde d’aujourd’hui.
Pourquoi la pâtisserie d’un grand hôtel ?
Rien ne m’y prédestinait au départ, j’ai commencé ma carrière dans une petite boutique traditionnelle, la pâtisserie Valade à Cusset, j’y ai appris les bases du métier, je travaillais beaucoup et je dirais qu’ensuite, c’est la vie qui m’a amené vers mon poste actuel.
Après un stage chez Fauchon avec Pierre Hermé, j’ai eu la chance de passer quelques années à l’hôtel de Crillon aux côtés de Christophe Felder. Quand j’ai commencé, je ne savais pas du tout ce que c’était que de travailler dans un tel hôtel. Je me souviens que la première image que j’en ai eu, c’était celle d’un "château" illuminé le soir !
Aujourd’hui, je peux dire que je me suis réellement épanoui et construit dans ce palace
J’ai ensuite travaillé avec Didier Le Calvez pour la mise en place de la pâtisserie au Georges V lors de sa réouverture et nous nous sommes retrouvés en 2007 au Bristol. Aujourd’hui, je peux dire que je me suis réellement épanoui et construit dans ce Palace. J’aime travailler toute la palette des pâtisseries qui accompagneront nos clients au fil des heures. L’idée de satisfaire les clients toute la journée de la manière la plus fraîche et la plus créative possible m’a séduit dés la départ.
Quels sont les enjeux d’une telle fonction au sein d’un grand hôtel ?
J’ai conscience que c’est un poste stratégique et très important car c’est nous finissons le repas, nous apportons la touche finale au restaurant triplement étoilé l’Epicure et au jardin français qui a acquis son étoile cette année. Nous sommes les gardiens de la dernière impression que le client gardera de son repas au Bristol.
Nous nous devons également d’être vecteurs des petites attentions pour nos clients qui doivent se sentir comblés tout au long de la journée. Nous ne comptons pas les ballotins de chocolats, de macarons et de confiseries que nous offrons et nous mettons un point d’honneur à satisfaire toutes les demandes hors carte.
Je pense que nous apportons en cela notre contribution dans la gestion du relationnel de l’hôtel. Notre métier est avant tout un métier de service, ce mot d’ailleurs est à lui seul un enjeu...
Si l’on met de côté vos talents artistiques indéniables, un chef pâtissier ne doit-il pas également être un bon manager ?
Un chef pâtissier doit effectivement bien sûr être un bon manager, c’est évident quand on est à la tête d’une brigade d’environ 20 personnes.
Il faut avant tout être un bon meneur d’hommes, c’est indéniable, mais la qualité première d’un Chef doit être la générosité, doublée d’une extrême rigueur.
Nous ne devrions d’ailleurs pas oublier que ce sont des valeurs propres à beaucoup de métiers...
Aller au bout des choses, ne pas se contenter du peu !
Quel est votre moteur dans la vie ?
J’ai entendu cette phrase un jour : "Se nourrir du bonheur qu’on donne aux autres", et je l’ai faite mienne car elle me correspond totalement.
C’est tellement cela le métier de pâtissier, n’avoir qu’un but, faire plaisir en créant de la gourmandise.
Je ne perds jamais de vue que mon métier de base est de satisfaire le client, s’il est heureux, s’il a vécu des émotions chez nous, nous avons accompli notre mission. Faire plaisir ne doit pas être un pari mais l’essence même de notre métier.
Je n’ai qu’un but, transcender les desserts pour en faire des expériences gustatives uniques, des souvenirs intemporels.
Où puisez-vous votre inspiration ?
Mon travail, mes réalisations sont la somme de toute mon éducation, de toute mon expérience et de ma curiosité quotidienne. C’est tout cela qui fait ma créativité et qui alimente mon inspiration.
J’ai par exemple créé mon citron givré d’après un souvenir de jeunesse car c’était un de mes desserts préférés, une sorte de madeleine de Proust. Je suis parti de ce dessert simple avec toutes ses saveurs d’antan et je me suis demandé comment je pouvais l’améliorer, le redéfinir, le réinterpréter en lui gardant toutes ses émotions afin de les transmettre à nos clients qui pourront se les approprier et se souvenir de cette dégustation agréable par la suite, en garder les saveurs et les sensations en mémoire.
Puis c’est après avoir visité un centre de recherche d’Air Liquide et discuté avec des scientifiques qui travaillaient sur l’Azote que l’idée de faire déguster de la neige de fruits à nos clients s’est imposée à moi.
Je puise également mon inspiration dans mes voyages afin de toujours surprendre les papilles des clients avec des saveurs nouvelles et recherchées.
Quelle est votre plus grande réussite ?
C’est incontestablement le « Précieux chocolat Nyangbo » avec sa présentation très arachnéenne, ce dessert a un côté joaillier, ce qui sied très bien au positionnement de luxe du Bristol. C’est un dessert complet, un véritable travail d’artiste visuellement et quand on plonge la cuillère dedans, on retrouve toutes les émotions et tout le goût du chocolat du Ghana.
Ce qui est intéressant c’est qu’au départ, on ne sait pas si ça va être une réussite, on l’espère, on fait tout pour que cela en soit une mais c’est comme pour le lancement d’un film ou d’une chanson, on ne connaît pas à l’avance l’accueil du public !
Aujourd’hui c’est le dessert phare du Bristol, 80% des clients de l’Epicure le dégustent et j’en suis très fier.
Mais au delà de ça, je suis convaincu que ma plus belle réussite, c’est d’avoir fait une vie de mon métier et de m’y épanouir pleinement au quotidien.
Quand on est jeune, on ne choisit pas toujours complétement son métier en connaissance de cause, on est rempli de doutes et après toutes ces années, je remercie Dieu d’avoir choisi ce métier car il est avant tout fait de plaisir, d’émotions, d’échanges et de partage.
Le luxe, c’est avant tout la simplicité d’un accueil humain
J’ai le grand bonheur de travailler au quotidien des matières nobles, gourmandes comme le sucre, le chocolat, le praliné, tout est fait pour nager dans le bonheur somme toute. C’est tout de même plus agréable de commencer la journée en faisant fondre du chocolat qui laissera échapper de délicieuses effluves durant toute la matinée dans la cuisine, plutôt que d’allumer un ordinateur !!!
Et pour finir, je suis fier de mon équipe, de ce que nous avons construit, de cet esprit d’émulation sans trop se prendre au sérieux.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui débute dans votre métier ?
Je lui dirais, soyez curieux sans relâche, ne comptez pas vos heures, entraînez-vous, n’hésitez pas à donner un coup de main hors service à vos supérieurs car ils ont beaucoup à vous apprendre.
En résumé, soyez travailleurs, généreux, sincères et gentils, des choses toutes simples finalement. Mais aujourd’hui, le problème est qu’on veut tout, tout de suite et qu’on a perdu la valeur du travail.
C’est un peu comme dans le foot, il y a beaucoup d’équipes de première division, mais très peu d’excellents joueurs de première division, de stars et il n’y a qu’un seul Zidane !
Avec certaines émissions, les Chefs ou les Pâtissiers sont très médiatisés, ils deviennent des stars. Du coup le métier paraît facile et très accessible pour les jeunes mais derrière tout cela, qu’y a-t-il ? Il y a des heures et des heures de production, de labeur et de perfectionnement pour réussir un geste. Sans cet acquis, on ne peut pas devenir des professionnels accomplis.
Quelle est votre définition du luxe ?
Pour moi, le luxe, c’est avant tout la simplicité d’un accueil humain, mais aussi la vraie générosité, la sincérité des rapports humains. C’est en cela que le Bristol est véritablement un hôtel de luxe et c’est la grande réussite de Didier le Calvez. Un mélange de moments inoubliables rendus possibles grâce à un personnel pour qui le terme d’humanité signifie quelque chose.
Quand un client se sent bien, reconnu comme chez lui, c’est ça l’idée du luxe.
Pourquoi dévoiler ses secrets dans un livre de cuisine ?
Pendant de nombreuses années, on a voulu faire croire aux gens que la pâtisserie était beaucoup plus compliquée que la cuisine et que ça ne pouvait être qu’une affaire de professionnels. J’avais envie de montrer que c’était faux, j’ai donc essayé de rendre mes recettes accessibles et utiles au fil du jour afin que mon livre serve vraiment aux personnes qui l’achèteront et qu’il soit générateur de vrais moments de vie.
Je suis conscient que mon précieux chocolat Nyangbo ne pourra pas être réalisé à l’identique mais la mousse au chocolat, la pâte à cigarettes cacao et le sirop de cacao sont extrêmement faciles à fabriquer et peuvent servir de base à un délicieux dessert maison qui ne nécessite pas un matériel ou des ingrédients de professionnels.
Se nourrir du bonheur qu’on donne aux autres
J’aime rappeler que c’est un livre de pâtisserie de Gaston Lenôtre qui m’a amené à la pâtisserie, j’ai été émerveillé par une photo de son fraisier et c’est certainement une des raisons qui m’a fait choisir ce métier.
Quelle est votre devise ?
Aller au bout des choses, ne pas se contenter du peu !