17/01/2017
Entouré d’un pool resserré d’investisseurs passionnés comme lui de gastronomie, après cinq années passées au sein du groupe, Côme de Chérisey est depuis l’été dernier le nouveau propriétaire du guide Gault et Millau dont il entend plus que jamais affirmer l’identité, la différence et surtout l’indépendance. Radiographie d’une entreprise en pleine mutation.
Après avoir assis sa vision de l’entreprise et profondément modifié son modèle économique qui n’était plus viable, Côme de Chérisey redonne un nouveau souffle au Gault et Millau et l’ouvre à un public plus large tout en conservant la grande qualité d’information qui l’a toujours caractérisé. La fin de l’année a salué la sortie des divers guides Gault et Millau à travers le monde, du Japon à la Pologne, en passant par la Belgique et le Canada et bien sûr la France où le guide vît le jour en 1973 sous l’impulsion de Christian Millau et Henri Gault. Un déploiement international qui ne fait cependant pas oublier les valeurs fondamentales du groupe avec en tête l’esprit de découverte que Côme de Chérisey entend bien perpétuer et étoffer dans les prochaines années.
L’ADN
Luxury Must Hospitality- La découverte de jeunes talents, comment ça marche ?
Côme de Chérisey- La grande majorité des chefs de plus de 60 ans ont été repérés et lancés par le Gault et Millau. C’est cela notre ADN ! Avec en fil conducteur le respect pour les cuisiniers qui travaillent très dur pour maintenir leurs maisons. Au sein du groupe, la gastronomie est considérée comme un véritable patrimoine, un lieu de transmission, de conservation des espèces. Avec ce rachat du Gault et Millau, il y avait clairement une volonté de promouvoir un savoir-faire local et de soutenir encore davantage les jeunes talents. Un soutien que Christian Millau qui nous a, cette année, honorés de sa présence lors de la sortie du guide français, a toujours considéré comme absolument nécessaire à la bonne santé de la Cuisine. Grâce à une sélection de partenaires fidèles, nous offrons chaque année à une dizaine de jeunes talents une dotation d’environ 25 000 € pour les soutenir dans leur installation, cela représente 10 à 15% de leur budget d’ouverture. Nous les suivons ensuite pour les aider à grandir et à passer du statut de chef de cuisine à celui de chef d’entreprise. En trois ans, ce sont un peu plus de 30 chefs français que nous avons ainsi soutenus avec à la clé quelques 300 emplois créés. Ce projet verra bientôt le jour en Belgique où nous avons déjà mis en place les Culinary Innovators Awards qui rendent hommage aux entreprises culinaires les plus créatives (70 entreprises en compétition, 40 sélectionnées).
« J’entends insuffler de vraies valeurs en matière de Food et représenter La marque de confiance »
Nous souhaitons également participer activement à la réflexion quant à une alimentation saine et savoureuse ainsi qu’à l’avenir de la gastronomie et plus largement du secteur CHR. J’entends insuffler de vraies valeurs en matière de Food et représenter la marque de confiance. Nous sommes une petite boîte indépendante qui s’est positionnée avec une éthique dès le départ et nous avons l’ambition de devenir un contre-pouvoir au service des restaurateurs. Notre objectif est de stimuler l’inspiration et de promouvoir la cuisine qui le mérite vraiment. C’est exactement dans ce sens que nous venons de publier notre 44ème guide français.
Un outil fiable et pertinent en matière de recherche en ligne
Luxury Must Hospitality- Comment le Gault et Millau se démarque-t-il de ses concurrents ?
Côme de Chérisey- Aujourd’hui, le défi à relever est clairement celui du digital. A l’heure où il n’y a jamais eu autant d’informations sur le Net, il n’a cependant jamais été aussi compliqué d’y trouver tout simplement le restaurant correspondant le mieux à ses critères. Il existe en effet une quantité considérable d’informations et certains sites cultivent une certaine ambiguïté. Les futurs clients doivent donc être vigilants au risque d’être déçus dans leur sélection finale. En matière de recherche de restaurants en ligne, il existe trois acteurs internationaux majeurs. Sur La Fourchette (rachetée par Trip Advisor), site Pure Player, quand on cherche un restaurant à proximité, la page qui s’affiche est extrêmement complexe. Tous les restaurants sont mélangés et présentés sur le même plan, il n’existe aucun filtre. Les restaurateurs payent cher le droit d’apparaître sur la page de réservation et la rémunération de la Fourchette peut représenter jusqu’à 20% de la marge d’un restaurateur. Un système que nous considérons comme confiscatoire pour les petits restaurateurs et qui peut réellement porter à confusion pour les internautes. Côté Michelin, qui est depuis longtemps un guide de référence et que je considère comme un acteur majeur et respectable du paysage gastronomique international, il existe aussi quelques ambiguïtés. Si l’on ne coche pas la petite case pour ne faire apparaître que les restaurants présents dans le guide, on tombe en page d’accueil sur une multitude d’offres spéciales, celles des restaurateurs qui ont payé pour passer par le système de réservation du guide et qui sont, en échange, mis en valeur sur le site. En résumé, n’importe quel restaurant (même s’il n’est pas répertorié dans le guide) peut s’inscrire et apparaître en bonne place sur le site du Guide Michelin par l’intermédiaire d’un pack visibilité. Sur le site Gault et Millau, personne n’achète quoi que ce soit et les restaurants qui s’affichent ne sont que ceux visités, notés selon une même grille de dégustation internationale et surtout référencés dans notre guide. Il n’y a aucun business réalisé avec ou sur le dos des restaurateurs. Nous voulons offrir à nos lecteurs une sélection honnête et lisible. Alors que finalement, les deux leaders internationaux proposent le même type d’algorithme de présentation, uniquement lié au nombre d’avis et/ou à un système de promotions. Nous souhaitons que notre site, https://fr.gaultmillau.com, soit le garant d’une éthique rendue nécessaire face à la complexité et à la multiplicité des messages délivrés par le Net.
« Sur le site Gault et Millau, il n’y a pas de business réalisé avec ou sur le dos des restaurateurs »
Financement, mode d’emploi
Luxury Must Hospitality- Si les restaurateurs ne payent aucune commission pour figurer sur le site, comment vous rémunérez-vous ?
Côme de Chérisey- Notre financement est assuré à 100% par nos sponsors. Quand je suis arrivé chez Gault et Millau, notre modèle économique était en grand péril, il a donc fallu le repenser entièrement et redéfinir la stratégie. Le modèle que j’ai mis en place s’interdit tout business avec les restaurateurs que nous notons. Notre souci de base est simple : comment peut-on rendre la qualité visible et accessible au plus grand nombre dans des conditions économiques viables pour les restaurateurs ? Le Gault et Millau a l’ambition d’être un contre-pouvoir, notre palais est juste et sincère, nos enquêteurs sont toujours anonymes et jamais salariés du guide. Nos avis ne doivent pas être parasités par des considérations financières, nous en faisons une question de déontologie. Il est cependant évident que nous ne sommes pas seulement des philanthropes, nous avons bien sûr besoin de financement pour nos enquêtes ! Nous avons donc choisi de nous associer dans chaque pays à des sponsors qui incarnent les valeurs de la gastronomie locale et qui travaillent de la manière la plus équitable possible. Il n’y a ainsi pas de conflit d’intérêt avec les restaurateurs. Cela nous permet de privilégier une lecture claire pour l’internaute et de revenir à notre métier de base : raconter une histoire à nos lecteurs, celle de la table que nous les invitons à découvrir. Nous sommes aujourd’hui fiers d’être le seul guide international qui ne vend aux restaurateurs ni publicités, ni packs et ne propose aucun service de réservation en ligne. Nous choisissons nos tables souverainement et les Chefs n’ont rien à débourser pour figurer dans le guide ou sur le site. C’est notre force et cela doit le rester, je me bats tous les jours dans ce sens !
« Nous ne pouvons pas être juges et parties, c’est la base »